Philippe, un Montréalais de 27 ans, a entamé une démarche au CRDM pour un problème de consommation excessive de jeux vidéo, en octobre 2017. Philippe est loin des stéréotypes du gamer qu’on connait. Il est un intervenant psychosocial, en pleine forme, il a plein d’amis et une copine avec qui il habite.

Pourtant, son profil n’est pas complètement atypique. Il est compétitif, il adore les jeux vidéo depuis son enfance et il a appris au cours de sa vie à s’en servir pour s’évader de situations déplaisantes… Ça peut être un cocktail de caractéristiques suffisant pour développer une problématique.

Le point de bascule

Pour Philippe, le point de bascule a eu un nom : Star Wars: Galaxy of Heroes (SWGOH), un jeu sur mobile consistant à collectionner des cartes de l’Alliance ou de l’Empire et à faire augmenter le niveau de ses divers personnages grâce à différentes stratégies.

« Ce type de jeu encourage énormément à jouer à chaque jour pour le restant de notre vie, car il y a toujours du nouveau contenu, et après avoir investi autant de temps, on est poussé à continuer », rapporte Philippe.

Comme il jouait à la version non payante de l’application (donc en mode Free 2 Play), il devait profiter de toutes les occasions qu’offrait l’application pour réussir à se classer parmi les meilleurs joueurs. Il était en ligne à 7h pile le matin pour collecter les récompenses matinales, y retournait pendant l’heure du souper, se connectait pendant quelques secondes au travail pour obtenir un bonus

« Je n’avais jamais été aussi organisé de ma vie. Je m’étais inculqué une organisation incroyable pour pouvoir réussir à être dans les meilleurs rankings sans payer », réalise-t-il aujourd’hui.

En fait, ce qui posait problème, c’était les caractéristiques communes à plusieurs jeux mobiles. Un téléphone ou un iPad, ça se traîne partout, et ça devient difficile de s’imposer des limites de jeux. En plus, ces applications sont spécialement conçues pour être addictives…

« Je voulais décrocher, mais je suis compétitif : j’étais numéro un sur le serveur de 10 000 personnes sur lequel je jouais, et je voulais montrer que c’était possible de faire ça en Free 2 Play », raconte Philippe.

Pour celui qui s’informe beaucoup sur l’industrie des jeux vidéo et les différents enjeux qui y touchent, c’était insultant de voir que tout était construit pour que les joueurs se sentent poussés à passer en mode payant (Pay 2 Play) pour avoir du plaisir.

Cette réalisation progressive et l’ampleur que le jeu avait pris dans sa vie l’ont donc amené, à arrêter complètement les jeux sur mobile. et à commencer une démarche thérapeutique pour comprendre ce qui l’a mené jusque-là.

Plan d’intervention du CRDM

Philippe rencontre rapidement une intervenante au CRDM et participe à des échanges en groupe. Son plan d’intervention vise à développer des saines habitudes de vie pour remplacer les jeux, ou encore à définir son propre cadre éthique par rapport aux jeux et aux écrans (qui sont quand même difficiles à éviter totalement).

Un des premiers exercices qu’il a eu à faire, c’était de compiler son temps passé devant un écran, excluant le travail. Il s’est ainsi rendu compte qu’il pouvait passer, en une semaine, 66 heures de loisirs à fixer un écran (ou plusieurs en même temps!).

« Ça me pousse à réfléchir à mes valeurs, en tant que gamer et en tant qu’humain. Combien de temps je veux mettre sur les écrans par rapport à avec mes amis ou ma blonde? J’ai aussi décidé que je ne touchais pas aux jeux qui comprennent des loot box ou des microtransactions, c’est contre mes valeurs. »

« Quand j’ai arrêté les jeux, j’ai eu une période anxieuse. Je ressentais plus mes émotions négatives. Tranquillement, je fais du laisser-aller, je trouve des trucs pour diminuer mon stress, je choisis mes batailles… Je savais que j’utilisais le jeu pour éviter de penser à ce que je n’aime pas, pour éviter mon stress. »

D’où l’importance d’un encadrement lorsqu’on décide d’arrêter.

« L’intervenant te pose des questions et t’aide à faire ton cheminement. Il t’aide à retrouver ton pouvoir d’agir, ta capacité à faire des choix. C’est lui aussi qui va te dire que si tu fais un pas en arrière, ça ne veut pas dire que tu es mauvais… »

Philippe a frappé aux portes du CRDM et a été tout de suite pris en charge, gratuitement.

Effets psychologiques de sa dépendance :

Philippe dit qu’il avait développé deux personnalités parallèles, qu’on pourrait définir comme celle du gamer et celle du gars sociable. Il a menti à ses ex et à son ancienne coloc pour cacher le fait qu’il jouait beaucoup, par exemple. Il remarque que sa libido avait baissé, et son égoïsme augmenté. Il oubliait de répondre à des appels ou des textos de sa famille ou de ses amis quand il jouait une bonne partie. Il pouvait gamer pendant que sa copine lui parlait ou pendant qu’il écoutait un film en couple.

Effets physiques de sa dépendance :

Philippe faisait moins de sport qu’avant puisqu’il allait travailler en métro au lieu d’à vélo pour pouvoir regarder son téléphone en chemin. Il a pris un peu de poids, a eu des problèmes de genoux, était souvent fatigué, a déjà saigné du nez dans une session intense de gaming, avait mal aux pouces à force de tenir dans les airs un appareil mobile pendant plusieurs heures, a eu des problèmes de posture, des douleurs au dos, des maux de tête… « On ne réalise pas qu’on est dans son monde et que même les besoins de base prennent le bord parfois. Ça m’arrivait de ne pas manger pendant de longues heures. »

Comme pour la plupart des gens qui ont un problème avec une addiction, la surconsommation de Philippe n’a probablement pas commencé sans raison. Il se rappelle que, dès son enfance, il a utilisé les jeux vidéo pour s’évader de ses problèmes et pour se valoriser, ce qui semble avoir continué dans ses relations de couple et dans sa vie adulte. C’est notamment ce côté des choses qu’il s’en va explorer en thérapie…

Effets sur ses loisirs :

Ça bousculait même ses plans d’avenir, d’une certaine façon. « Avant d’arrêter les jeux mobiles, je n’avais pas envie de voyager, sauf si c’était pour aller dans un pays où il y avait une conférence intéressante sur les jeux ou d’autres trucs geek », dit celui qui est allé en Californie pour assister à Blizzcon, mais qui ne voyait pas trop l’intérêt d’aller passer une partie de l’été en Italie. Même un petit voyage de camping pouvait poser problème : il n’y a pas toujours du wifi ou du 3G dans le bois…

Effets sur son entourage

Sa copine Stéphanie a vu progresser la dépendance de Philippe aux jeux vidéo sur appareils mobiles. « Avec le recul, je me dis que j’étais ben nounoune! On avait fait un gros pique-nique au parc, pour ma fête, et mon amie me faisait remarquer qu’il nous jouait dans la face sur son téléphone. Moi, je lui expliquais qu’il y avait des moments précis où il fallait qu’il se connecte pour avoir des points, qu’il était super bon à ce jeu-là, qu’il coachait d’autres joueurs… Je réussissais à trouver ça beau sa passion! »

« Une chose que je n’aimais pas quand il jouait beaucoup, c’est qu’il se levait super tôt pour aller jouer (à 6 h 30 ou 7 h même la fin de semaine) et qu’il se couchait après moi. Ça n’aidait pas à créer des moments de couple, d’intimité… quand on est ensemble en même temps dans le lit, il y a beaucoup plus de chances qu’on se parle, qu’on pogne un fou rire! »

Il y avait aussi la procrastination des tâches ménagères, les coups d’œil constants au téléphone cellulaire pendant les conversations…

« Il me demandait presque l’autorisation d’aller faire ses trucs de Star Wars. Je ne voulais pas dire non, mais c’était souvent. »

LE CHANGEMENT, POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE

Depuis qu’il a décidé d’arrêter les jeux sur appareils mobiles et d’entreprendre une démarche thérapeutique, Philippe a remarqué que sa vie a beaucoup changé.

Il joue encore à des jeux vidéo, mais seulement sur console ou ordinateur et avec modération. Il a recommencé à lire, veut se mettre à l’écriture, apprécie plus ses sorties… et il a postulé pour un nouveau poste au travail.

« Dans les jeux, j’étais tellement comblé que je n’avais pas besoin d’aller plus loin dans ma job. Mais depuis que je me suis enlevé mon monde virtuel, je me concentre plus sur mon travail et on dirait que tout est possible. J’ai envie de développer ma profession, d’aller plus loin. J’ai été à deux doigts de décrocher un poste plus élevé, j’ai fait des entrevues, refait mon CV, suivi une formation… ç’a été très formateur comme moment dans ma vie. Je n’en serais pas là si je n’avais pas arrêté les jeux mobiles. »

Tout ça en quelques mois!

Il faut dire que Philippe est un peu le candidat « idéal » pour améliorer sa situation rapidement. Il a un emploi (dans le domaine psychosocial, en plus), des amis, une blonde, une famille de laquelle il est proche, plusieurs autres champs d’intérêt, et surtout, une réelle volonté de se comprendre et de se débarrasser de son problème.

Entrevue réalisée par Camille Dauphinais Pelletier, pour Urbania

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